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"Lieferantenkettengesetz": loi sur les chaines d'approvisionnement
La Diète fédérale (Bundestag) a adopté le 11 juin 2021 la loi sur les chaînes d’approvisionnements par 412 voix pour, 159 voix contre, 59 abstentions et 79 suffrages non exprimés. Défendu par le ministère fédéral du travail et des affaires sociales, le projet de loi a bénéficié d’un large appui de la société civile (syndicats, ONG, Églises). Devant les députés, le ministre de la coopération économique et du développement a souligné que la loi a été portée par une alliance interministérielle et transpartisane, « un travail d’équipe contre un lobbying extrêmement puissant ».
Les principales dispositions portent sur l’obligation du donneur d’ordre de s’assurer proactivement du respect des Droits humains et des grands principes du droit du travail par ses fournisseurs. Les entreprises allemandes de grande taille (plus de 3.000 salariés dans un premier temps, plus de 1.000 salariés à partir de 2024) doivent conduire une analyse des risques permettant de détecter et éviter le recours au travail des enfants, la violation des droits essentiels des salariés, l’atteinte grave à la santé des travailleurs ou à l’environnement par leurs fournisseurs directs. Les obligations sont moindres pour ce qui concerne les fournisseurs de rang deux et au-delà pour lesquels n’existe à ce stade qu’une obligation de vigilance renforcée.
Les employés du fournisseur victimes de conditions de travail indignes peuvent saisir une autorité administrative allemande chargée du contrôle du respect de cette loi. Les sanctions (amendes) sont proportionnelles à la gravité des faits et au chiffre d’affaires de l’importateur. Une sanction de plus de 175.000€ entraine l’exclusion de la participation aux appels d’offres publics.
Les syndicats et ONG allemandes peuvent représenter les salariés des fournisseurs étrangers devant les tribunaux allemands, ce qui conforte la portée effective de la loi.
La loi réduit l’avantage compétitif des sociétés dont les critères de sélection des fournisseurs sont très bas et supprime partiellement le désavantage concurrentiel des sociétés les plus engagées en faveur du développement durable.
Deux virages sont pris :
1) la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) change de nature ; de démarche volontaire non contraignante elle devient une obligation légale.
2) la responsabilité passe du consommateur final au professionnel.
Le second point est essentiel. Il y a une grande hypocrisie à donner au consommateur final la liberté de choisir les conditions de fabrication des produits qu’il achète non pas qu’il ne soit pas digne d’exercer ce choix mais parce qu’il ne dispose d’aucun moyen d’accéder aux informations. Pays d’origine, marque et prix de vente d’un produit ne permettent pas de connaitre les conditions réelles de fabrication. D’ailleurs, les travaux parlementaires ont mis en évidence que seules les entreprises de taille significative peuvent exercer un contrôle effectif de leurs fournisseurs. La connaissance et l’audit des fournisseurs sont des tâches à confier aux acheteurs professionnels et pas aux consommateurs. Ce, même si les opérateurs économiques supportent de plus en plus d’obligations relevant normalement des autorités publiques, en l’occurrence des pays producteurs.
Les conséquences attendues de la loi sont claires, louables et nobles : amélioration des conditions de travail, fin du travail forcé, fin du travail des enfants, préservation des ressources naturelles. Mais quelles seront les conséquences réelles ?
Certaines industries ne voudront peut-être pas respecter les standards attendus et trouveront de nouveaux débouchés auprès des filières économiques illicites ou parallèles (produits contrefaisants, contournement des embargos, secteur informel, évitement des quotas, etc.).
Par ailleurs, si les industriels de certains États ont du mal à atteindre les standards requis et sont déréférencés par les importateurs allemands, la fin de l’accès au premier marché européen signifierait pertes d’emplois, crises sociales et dégradation de la situation pour ces pays.
Malgré ces écueils et toute la complexité du sujet, la loi allemande devrait inspirer le droit européen en construction. Le principe de la responsabilité du donneur d’ordre pour les actions et omissions de son sous-traitant devrait devenir normal pour toutes les économies développées qui ne peuvent raisonnablement asseoir leur prospérité sur la violation ailleurs de droits élémentaires.
L’extension de la responsabilité à l’ensemble de la chaine d’approvisionnement est une évolution attendue du texte car ce sont les premiers maillons des chaînes d’approvisionnement (mines, carrières, récupération de matières premières secondaires) qui sont les plus risqués quant à la violation des droits fondamentaux et les atteintes à la santé des travailleurs.
Crédit photo : Karlheinz PAPE
[18 juin 2021]