Une question de procédure (forclusion) a contraint le tribunal de Dortmund (Rhénanie du Nord - Westphalie) à ne pas statuer sur le fond du litige qui oppose d’anciens employés d’un sous-traitant pakistanais à la société allemande KiK.
Le 11 septembre 2012, un incendie criminel détruit une usine de confection à Karachi (Pakistan) causant la mort de 258 personnes. Sous-traitante de la société allemande KiK, cette usine avait fait l’objet d’audits réguliers qui n’avaient pas mis de manquements graves en évidence mais, le jour de l’incendie, l’absence d’issues de secours praticables est une des causes du tragique bilan.
KiK (Kunde ist König - Le client est roi) est, avec 3.500 filiales dans 11 pays, un acteur de premier plan du discount textile. Cette société créée en 1994 promet à ses clientes et clients une tenue complète (des chaussettes à la caquette) pour moins de 30€ et distribue principalement des pièces d’habillement basiques, peu soumises aux effets de mode.
Les plaignants, soutenus par de nombreuses ONG et le réseau Cor-A (Corporate Accountability), attendaient que soit reconnue la coresponsabilité du donneur d’ordre. Une décision sur le fond aurait apporté de la sécurité juridique et clarifié diverses questions relatives à la responsabilité du donneur d’ordre. Comment doivent être conduits les audits ? Doivent-ils être planifiés ou inopinés ? Doivent-ils être conduits par des organismes indépendants? Peut-on interpréter l’absence de rupture d’approvisionnement grâce à une stratégie de dualité de source comme une anticipation des sinistres ? Alors que l’usine de Karachi avait obtenu un certificat de conformité, peut-on imposer au donneur d’ordre de suppléer aux insuffisances des autorités publiques locales ?
Sur un plan plus général, on peut aussi s’interroger sur deux sujets : la relocalisation de la production en Europe est-elle la meilleure solution, y compris pour les ouvriers ? Alors que les atteintes aux droits humains sont traditionnellement commises par les Etats, comment étendre l’obligation de respect des Droits de l’Homme aux acteurs privés ?
Il a été reproché aux ONG d’avoir entraîné les familles pakistanaises dans une aventure judiciaire sans issue mais, pour les syndicats et les activistes, le simple fait que les tribunaux du pays d’un grand donneur d’ordre examinent la plainte de salariés d’un sous-traitant est une victoire en matière de responsabilité sociale des entreprises. Leur espoir est que la décision du Landgericht Dortmund du 10 janvier 2019 mobilise l’opinion publique et encourage le législateur à étendre certains dispositifs légaux allemands aux salariés des sous-traitants.
[21 janvier 2019]